☀ Choix et appropriation des outils
Le designer graphique s'accompagne toujours de sa pratique, des questionnements sur les outils qu’il emploie, de ses choix graphiques, de son parti-pris. Un designer ne peut créer, ni justifier sans prise de décisions. Ces décisions peuvent se dessiner au travers d’un esprit critique, du positionnement, de la technique, etc. Il doit savoir faire, mais également penser. Les outils qu’il manie doivent être choisis avec conscience et être utilisés de sorte à retranscrire graphiquement son intention. L’outil est au centre de la technique et il est nécessaire de prendre conscience de son utilisation, savoir comment le manier. Pourquoi faire ? Par quels moyens ? Pour transmettre quoi ? Car faire du design graphique, c’est transmettre un message, une intention, une information, un ressenti, une émotion, une envie. Cette transmission de l’information passe par de la mise en forme, que l’on appelle aussi création graphique. Pour cela, le graphiste utilise des logiciels propriétaires (privatisés), et/ou des logiciels libres, même si ces derniers ne concernent qu’une minorité. Cette ambivalence soulève un grand débat sur le choix des outils pour la conception graphique. Je n’évoquerai pas ce dilemme puisque je vais principalement parler de la place des outils libres et des langages de programmation au sein de la création graphique. Il est évident que tout logiciel façonne les décisions de l’utilisateur, de par la conception de son interface et de sa logique interne. C’est pour cela, qu’il est important d’avoir conscience des outils que l’on utilise, on se doit d’interroger la justesse de nos choix pour déterminer quel conditionnement est préférable pour mener à bien tel ou tel projet. Le «conditionnement», ce sont des contraintes et des capacités qui constituent l’entièreté d’un outil et qu’il est possible d'accepter (logiciel privé), ou de contourner, détourner (logiciel libre). Par «accepter», j'entends là une action inconsciente de l'utilisateur, ce n’est donc pas une bonne solution quand il s’agit de répondre à un besoin technique. Accepter, c’est l’idée de consentir à subir sa propre décision, se soumettre aux limites d'un outil que l’on ne peut maîtriser de A à Z. Certains designers graphiques se sont détachés de ces questions-là. Leur méthode : faire le choix de créer leurs propres outils, affronter la machine (l’ordinateur, l’informatique) pour repenser les relations entre design, outils de création et programmation, pour finalement, devenir designer-hacker. Bien que l’ordinateur soit l’instrument principal pour la conception graphique, nombreux sont ceux qui le perçoivent comme une mystérieuse boîte noire. Pourtant, une fois appréhendé, c’est-à-dire comprendre les langages de programmation pour interagir avec la machine, il est possible de fabriquer, produire, exécuter tout et n’importe quoi.
«Cette dialectique entre la maîtrise de techniques complexes et une courageuse conviction d'expérimenter au sein de la culture, doit définir le caractère de ce nouvel acteur : le designer-hacker.» 🡲 Diego Gomez Venegas1, Designer comme Hacker, (2012).
Luuse2 est une association sans but lucratif (asbl) de designers graphiques-artistes qui inclue cette démarche de créer leurs propres outils numériques. Antoine, Léonard, Romain, Natalia, Étienne et Baptiste forment une équipe où chacun d'entre eux apporte ses connaissances et les développent aux côtés de toutes celles des autres membres. À l'aide de cette profusion de savoir-faire, ils créent leurs programmes pour répondre à leurs exigences, c'est cette ambivalence technique du collectif qui est à l'origine du résultat graphique final pour chacun des projets menés. Comme ici, pour la création de l’identité visuelle du festival Poisson-Évêque. Une performance a été organisée au MAGA, un lieu dédié aux expressions artistiques, poétiques et expérimentales, par Stéphanie Vérin. Lors de laquelle a eu lieu la création de la publication, de l’affiche et du dépliant à l’aide de l’outil Pad2Print3. Cela a permis de créer un temps de travail en commun autour d’un outil collaboratif de mise en page, qui utilise des pads sur lesquels il est possible d’éditer du CSS. Le code s'inscrit dans l’outil accessible directement sur un navigateur Web, qui va venir simplifier le rapport code-aperçu en offrant une prévisualisation en temps réel, ce qui se fait, habituellement, en deux temps avec un éditeur de code classique. Normalement, programmer, c’est articuler des structures logiques et les appliquer à des données pour former un produit (visuel) final. Cette méthode de création offre un rapport texte-image dissocié dans le temps, indirecte et mécanique, d’abord, on écrit la commande, ensuite, on visualise ce que cela provoque, contrairement aux logiciels WYSIWYG4. La création d’outil sur mesure est de plus en plus présente dans la conception graphique, elle se mêle au processus de travail du design graphique, comme c'est le cas dans le projet éditorial pour le festival Poisson-Évêque.
🡱 Programme du festival Poisson-Évêque réalisé avec Pad2Print, (2017).
🡱 Interface de l'outil de mise en page Pad2Print. en ligne
La logique fait main se définit par une esthétique expérimentale, une richesse des techniques, elle découle des mouvements Makers et DIY et se caractérise par une soif d’apprendre, de bidouiller, bricoler. Bien qu’elle soit peu présente dans la pratique des graphistes, elle offre une abondance graphique au sein de création d’outils. Pour comprendre cette logique dans la conception d’outil, il est important d’étudier les termes : hacker, bricoler, décentraliser. Comprendre quelle est l’importance des outils ? Pourquoi les choisir, les intégrer et les réinventer ? Quelle présence la logique fait main a dans la création d’outils numériques ? Au travers de ces questionnements, nous pourrons déceler quelle place occupent des langages de programmation dans le processus de conception. Nous aborderons les divers statuts du designer graphique face à ses outils, bricoleur ? Amateur ? Hacker ? Mais également, dans quels contextes ces autoproductions sont-elles pensées, modifiées ou réappropriées. Plus qu'une esthétique, la logique fait main est aussi un état d'esprit qui prend sa source dans l'univers numérique et de partage, qu'est le Web.
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Diego Gomez Venegas est un chercheur en médias et artiste avec un intérêt constant pour les théories des médias et la cybernétique. ↩
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Luuse a pour objectif de développer des méthodes alternatives d'édition et de publication. Ils s’attachent à défendre une approche réfléchie, curieuse et consciente de la relation entre outils de production, designers et utilisateurs. Dans cette perspective, Luuse travaille autour des domaines d'action de la pédagogie, de la recherche et de la commande, tout en privilégiant les systèmes ouverts et la culture libre à travers le développement d'environnements physiques et numériques, tant pratiques que théoriques. La transmission réciproque des savoirs et la création de communs, tant en interne qu'en externe, est une condition de sa raison d'être. ↩
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Pad2Print est un outil de mise en page de documents imprimés collaboratif dans le navigateur Web. Il utilise des pads sur lesquels il est possible d'éditer le css et permet une prévisualisation en temps réel de la double-page. ↩
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WYSIWYG est l’acronyme de la locution anglaise «What You See Is What You Get», signifiant littéralement en français «ce que vous voyez est ce que vous obtenez». Il désigne en informatique une interface utilisateur qui permet de composer visuellement le résultat voulu, typiquement pour un logiciel de mise en page, un traitement de texte ou d’image. C'est une interface «intuitive» : l’utilisateur voit directement à l’écran à quoi ressemblera le résultat final. ↩